Philippe Alcoy
Source: CCR du NPA
Dimanche 28 septembre le syndicat majoritaire chez
les pilotes d’Air France, le SNPL (70%), mettait « inexplicablement »
fin à la grève exemplaire qui durait depuis 14 jours (la plus longue
depuis 1993) contre la précarisation des conditions de travail et la
délocalisation. Cette fin de grève est d’autant plus incompréhensible
que la direction venait de lâcher son plan de développement de Transavia
Europe, qu’elle semblait déstabilisée face à la ténacité des pilotes et
qu’il n’y a pas encore d’accord de « sortie de crise ». Le syndicat
minoritaire, le SPAF (20%), a quant à lui décidé de maintenir le préavis
de grève au moins jusqu’au 30 septembre. Malgré l’obtention partielle de leurs revendications, il est difficile de ne pas ressentir un certain gout amer quand une victoire importante semblait possible et proche.
En effet, depuis la semaine dernière la direction d’Air France faisait des propositions aux pilotes pour essayer de mettre un terme à la grève.
D’abord elle a proposé de « suspendre » le projet de développement de
Transavia Europe jusqu’à décembre ; ensuite elle annonçait l’abandon
total de ce projet sans pour autant que cela signifie qu’elle allait
stopper également le développement de Transavia France, bien au
contraire.
Alors que tout le monde pensait que cela serait
suffisant pour finir avec la grève des pilotes qui commençait à coûter
beaucoup à l’entreprise, les pilotes ne lâchaient pas. Une fois
qu’Alexandre de Juniac s’est vu obligé d’abandonner son projet plus
« ambitieux » de délocalisation, les pilotes voulaient discuter des
conditions de développement de la filiale low cost en France.
C’est autour de la question des conditions de travail
et de la sauvegarde des acquis de la catégorie que les négociations se
poursuivaient. Mais la direction ne voulait rien savoir de céder sur la
question du « contrat uniquede pilote du groupe » que les grévistes
revendiquaient. Et cela malgré le fait que le SNPL faisait des
concessions à la direction depuis plusieurs jours acceptant que les
pilotes qui aillent voler chez Transavia le fassent aux conditions de la
low cost. Autrement dit, ils acceptaient de travailler plus et d’avoir
des conditions de travail plus « flexibles » mais à condition que l’on
préserve leur statut de pilotes d’Air France.
Le SNPL a cédé à la pression de la direction et du gouvernement
Les négociations se trouvaient bloquées à ce point quand le SNPL a décidé de mettre fin incroyablement à la grève. Joint par Les Echos, un porte-parole du SNPL expliquait : « La
direction campe sur ses positions, mais nous avons jugé qu’il serait
suicidaire de continuer (…) Nous avons donc pris nos responsabilités en
décidant d’arrêter le mouvement ».
Le syndicat, cédant au discours véhiculé par la
direction d’Air France, la presse et le gouvernement, a estimé que la
grève « mettait en danger » l’entreprise. En effet, le SNPL considérait
que « la direction s’était préparée à la grève en provisionnant 200
millions d’euros. Mais après deux semaines de conflit, le coût de la
grève approcherait aujourd’hui les 280 millions d’euros. Sans parler du
coup considérable mais difficile à chiffrer porté à l’image de la
compagnie… » (Les Echos, 28/9).
Mais si la direction avait une « réserve » 200
millions d’euros, cela ne voulait pas dire qu’elle s’attendait à une
lutte dure avec les pilotes ? D’ailleurs, comme révèle Le Monde : « [De
Juniac] il y a deux ans, alors que la restructuration d’Air France
battait son plein, (…) confié à ses proches : "Je n’ai pas fait le plus
dur, le plus dur ce sera les pilotes" » (Le Monde, 26/9).
Cela veut dire qu’il était probable que si la grève continuait encore
quelques jours, les pilotes auraient pu obtenir une victoire très
importante sur la direction : aussi bien en l’obligeant à annuler son
plan de délocalisation que sur la question du contrat unique.
Ainsi, la direction et le gouvernement ont du mal à
cacher leur joie d’avoir évité ce scénario cauchemardesque pour eux. Et
cela d’autant plus que le nombre de gréviste ne faiblissait pas et que
leurs représentants laissaient comprendre qu’ils ne faisaient plus
confiance à la direction pour négocier.
En ce sens, Valls, essayant de s’acheter la sympathie
de l’électoral le plus réactionnaire et antigrève, s’est félicité de la
soi-disant « ligne de fermeté du gouvernement » lors de la grève.
D’ailleurs, cette « fermeté de dernière minute » n’est prise au sérieux
par aucun secteur du patronat : c’est le gouvernement lui-même qui a
obligé Air France à abandonner le projet Transavia Europe de peur que la
grève ne se durcisse. Cette intromission dans les affaires de
l’entreprise est jugé insupportable par le patronat. C’est d’ailleurs ce
qui exprime Luc Chatel, le secrétaire général de l’UMP, selon lequel :
« L’entreprise Air France a un conseil d’administration, elle a 89%
d’actionnaires qui ne sont pas M. Vidalies [secrétaire d’Etat aux
transports – l’Etat possède en réalité près de 16% des actions], ce
n’est pas à M. Vidalies d’aller annoncer sur les chaînes de télévision
si le projet est retiré ou non. Il a fait beaucoup de mal à l’entreprise ».
Les pilotes n’ont pas su créer des alliances stratégiques avec les autres catégories
Evidement, Valls exagère le vrai rôle du gouvernement
quand il parle de « fermeté ». Ce gouvernement complètement discrédité
et sans autorité ne fait peur à personne. D’ailleurs, de par son niveau
d’exposition lors de la grève on peut se demander à quel point un recul
plus important de la direction d’Air France aurait eu des conséquences
sur lui ? Car depuis le début de la grève ce que l’on a pu voir c’est
avant tout un alignement complet du PS avec la direction de l’entreprise
et une position ouvertement brise-grève.
Cela montre qu’aussi bien Air France que le
gouvernement et le patronat étaient conscients des enjeux plus généraux.
En effet, comme nous l’affirmons depuis le début de la grève,
elle avait une importance pour l’ensemble de la classe ouvrière car
elle s’opposait à un plan de précarisation des conditions de travail et à
un plan de délocalisation d’une des principales entreprises françaises
d’uns secteur stratégique. Le tout sous prétexte de retrouver la
« compétitivité » et de la sauvegarde d’une « entreprise national »…
sous le dos des salariés évidemment ! Autrement dit, cette lutte avait
tout pour devenir un point d’appui et une source d’inspiration pour
d’autres salariés qui subissent les mêmes attaques, à commencer par ceux
et celles des autres catégories du secteur aéronautique et des
transports.
Mais justement le point faible de cette grève a été
que la direction SNPL n’a jamais cherché à élargir le mouvement à
d’autres catégories, notamment au sein du groupe. Et pour cela il ne
manquait pas de possibilités. Le 22 septembre dernier par exemple, huit
organisations syndicales (après avoir adopté une position
« abstentionniste », comme la CGT qui ne s’opposait pas à la grève mais
ne la soutenait pas non plus) de toutes les catégories signaient un
tract commun exigeant le retrait du plan Transavia Europe. Cela
exprimait sans doute de la sympathie avec ce mouvement de la part de
travailleurs et travailleuses au sol et parmi le personnel navigant. En
effet, le plan était perçu comme une attaque contre toutes les
catégories, ce que l’on a pu constater en voyant la satisfaction qu’ont
exprimé tous les salariés du groupe après le retrait du projet Transavia
Europe. Comme on voit les conditions pour une lutte commune étaient
réunies.
Cela aurait représenté la meilleure politique des
pilotes pour isoler les briseurs de grèves professionnels à la solde du
patronat comme les dirigeants de la CFDT qui reprenaient à leur compte
les discours sur les « privilèges » des pilotes pour laisser imposer la
précarité à l’ENSEMBLE du personnel.
Une telle alliance aurait rendu possible une victoire
éclatante contre ce plan qui vise à la dégradation des conditions de
travail de l’ensemble des salariés de cette puissante entreprise. En
même temps cela aurait rendu plus pérennes les victoires obtenues au
cours de la grève. Aussi, une telle lutte aurait poussé des travailleurs
d’autres compagnies à suivre l’exemple d’Air France. D’ailleurs, on ne
peut pas écarter que d’autres grève semblables éclatent dans le secteur.
Une victoire partielle mais importante !
Malgré le fait que les pilotes auraient pu avoir plus
que ce qu’ils ont gagné au cours de cette grève, nous ne pouvons pas
négliger le fait qu’ils ont fait reculer (au moins momentanément) la
direction sur son plan plus ambitieux : Transavia Europe.
En effet, si l’on peut imaginer que la direction
d’Air France pouvait envisager une certaine forme de résistance de la
part des pilotes, le passé récent avec le plan « Transform 2015 » qui
avait impliqué 8000 suppressions d’emplois, lui donnait une certaine
marge de confiance.
Mais la grève des pilotes a jeté bas cette
« arrogance ». Le cadre de « confiance », comme l’expriment les pilotes
eux-mêmes, s’est rompu. Fini le temps de la « cogestion » comme affirme
la direction. D’ailleurs, si la grève continuait, il n’est pas exclu
qu’elle aurait pu avoir la tête de Alexandre de Juniac, le PDG du
groupe.
Même si le gouvernement et l’entreprise ont réussi,
pour le moment, à éviter le « pire » (de leur point de vue), la grève
des pilotes d’Air France a été un avertissement qui s’ajoute à celui des
cheminots en juin. Il n’y a pas eu d’accord de fin de conflit, ce qui
implique qu’il pourrait y avoir de nouveaux mouvements parmi les pilotes
mais aussi chez d’autres catégories, comme certains le craignent. Peu à
peu, les travailleurs et travailleuses du secteur stratégique du
transport commencent à montrer la voie de la résistance à l’ensemble du
prolétariat.
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